Portraits de Loire. Récits d'un bord de fleuve (Extrait)

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Portraits de Loire Récits d’un bord de fleuve VÉRONIQUE POPINET

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Écoutez les témoignages des habitants et les paysages sonores des bords de Loire par Thierry Moulat, phonographe : http://portraitsdeloire.fr/paroles/

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Véronique Popinet La question du lien au fleuve

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Sophie Bonin Loire vivante

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Claude Janin Paysages des gorges de Loire : une question de retenue…

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André Micoud Les redécouvertes des fleuves

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Armande Jammes Remonter le fleuve

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Château de la Roche, 1974. Photo Jacques Popinet. Bords de Loire à Villerest, 1977. Photo Jacques Popinet.

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La question du lien au fleuve VÉRONIQUE POPINET Auteure – Photographe

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Au départ, peut-être juste un vague regret : celui de ne pas me rappeler les gorges telles qu’elles étaient avant la construction du barrage. Les générations d’avant parlent de plages, de baignades, d’auberges, de la route qui longeait les parois rocheuses, de fêtes… Et aussi les serpents nombreux, le courant et les trous d’eau… L’usine des papeteries de Villerest encore en marche… Les piles de l’ancien pont à Saint‑Maurice… Mon père allant au travail en kayak les jours de crue… Mon frère aîné cherchant des silex taillés dans le champ de fouilles près de la maison… Moi petite sur la terrasse, attrapant des orvets à pleines mains… Une roche de la carrière éventrant le toit… Les meules de foin du père Duverger sur les pentes… Une façon insouciante et gaie de se colleter avec les éléments. Pas de souvenirs en réalité, seulement des histoires qu’on m’a racontées, des diapos vieillies, des légendes familiales, impressions idéalisées d’un monde disparu. 1977. J’avais trois ans quand nous avons quitté les bords de Loire pour aller habiter au-dessus, sur la Côte Roannaise, une grande maison neuve et laide qui surplombe la plaine. La vue est imprenable, le fleuve est loin, invisible. On le devine par défaut, en creux, sous les nappes de brume certains matins. Aujourd’hui, j’habite de l’autre côté, rive droite, non loin du barrage, en surplomb des gorges. Plus proche, la présence du fleuve

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est pourtant discrète, seulement suggérée par le relief et les nuages bas qui s’y forment pas temps frais. Je le franchis – et parfois le longe – en voiture presque tous les jours. Eaux sombres, immobiles et sans fond en amont, eaux courantes en aval. Au départ de mon travail, une vague question : celle du lien entre les hommes, les paysages et le fleuve. Et l’intuition tout aussi vague qui m’amène à penser que ces liens se sont distendus et qu’ils nous manquent quelque part, sans même que nous n’en ayons pleinement conscience. Nous interrogeons peu notre environnement quotidien tant il semble aller de soi. Pour mieux comprendre, j’ai donc cherché à photographier des riverains ou habitants ayant une activité en lien avec le fleuve (profession ou loisirs) et les paysages de bords de Loire façonnés par l’activité humaine. J’ai d’abord pris le parti de me limiter à une vision directe du fleuve, liée à mon expérience ordinaire. Ainsi, j’ai arpenté les rives par les principaux axes routiers que j’avais plus ou moins l’habitude d’emprunter. Sur le terrain, j’ai réalisé à quel point notre mode de vie actuel « hors sol » nous éloignait du fleuve : deux rythmes distincts. Le fleuve est souvent hors de vue : les voiries s’affranchissent d’un relief contraignant et improductif, elles ne suivent plus la sinuosité du fleuve, ne s’insèrent plus dans l’étroitesse des gorges, mais le dominent. On le traverse parfois sur des ponts, on l’aperçoit de manière fugace et entrecoupée à travers des barrières. Alors que voyons-nous du paysage, du fleuve derrière des digues, des talus, en contrebas ? Le fleuve est un obstacle à franchir, une contrainte, il peut être hostile, il a une géographie propre, un rythme propre qui ne se s’accorde pas à celui de nos vies modernes. Il est contenu, écarté, franchi tout au mieux. Il est la plupart du temps en creux, implicite. Il se rappelle parfois à nous lors d’événements météorologiques extrêmes, lorsque les constructions censées maîtriser son cours se révèlent insuffisantes : les eaux en crue viennent alors inonder les routes, les champs. Il faut alors sécuriser et faire des détours. Je me suis aussi rendue sur des lieux autorisés et aménagés : les berges en ville, la plage du barrage de Villerest, le petit port de Bully, les campings… Mais ces lieux artificiels et contraints me laissaient sur ma faim. J’ai alors cherché à pied des lieux plus spontanés, mais aussi moins évidents et parfois cachés. J’ai emprunté des chemins de moi jusqu’alors inconnus : chemins de halage, chemins agricoles, accès

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« techniques », sentiers de randonnée, anciennes routes partiellement immergées… prenant ainsi le temps de la rencontre avec la Loire et ses habitués. Mais là encore, j’ai trouvé des panneaux de mise en garde et d’interdits. Moi à qui le fleuve semblait vaguement familier, car toujours présent quelque part, pas loin, au fond, je n’en avais que quelques visions furtives et parcellaires. Et je l’ai finalement (re)découvert à travers ces chemins, anciennes routes, et rencontres de riverains. Ainsi, j’ai pu expérimenter et photographier que le fleuve ne fait plus complètement partie de notre quotidien, à titre individuel ou collectif. Le lien au fleuve semble aujourd’hui plus ténu. Il peut avoir une raison d’être très concrète au travers des différents usages. Mais il existe aussi des attachements plus historiques, symboliques ou idéalisés et des représentations diverses du fleuve que Thierry Moulat, mon « collègue » phonographe, a explorés lors des entretiens avec les personnes que j’avais photographiées1. Malgré tout, nous sommes donc liés au fleuve qui constitue un élément essentiel de notre environnement, du paysage dans lequel nous nous inscrivons. Le fleuve représente à la fois symboliquement et concrètement un lien temporel et spatial entre les habitants du territoire qu’il traverse et modèle. À travers ces rencontres, portraits et témoignages, on retrouve un lien bien réel, un « être au monde » par le fleuve, voire même un « être fleuve ». Et le désir bien réel lui aussi et parfois teinté de nostalgie de se réapproprier individuellement et collectivement le fleuve. S’en rapprocher, le « retrouver », en retrouver la dimension symbolique, comme élément constitutif essentiel de notre individualité et de notre sociabilité. Lui redonner sa liberté, comme si elle était nôtre. À travers le fleuve, retrouver aussi notre environnement, notre territoire et notre histoire. Un fleuve qui nous relie au-delà des frontières administratives. Retrouver un rythme plus lent, celui des cycles naturels, des éléments à la fois permanents et impermanents. Un fleuve qui nous « reconnecte » au monde. Un rythme qui permet aussi la rencontre avec l’autre. Avec ce désir de renouer le lien, affleurent comme une résistance, une soif de vie, des interrogations plus vastes, existentielles, des revendications. Ne pas laisser le fleuve aux

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seuls techniciens, gestionnaires et aménageurs. Le fleuve comme espace public de liberté et d’échange ? Le fleuve comme lieu d’émancipation ? Une reconquête politique par le fleuve ? Dans un système économique, politique et social qui nous éloigne de ce qui est important et de ce qui nous construit – notre environnement, la Terre, l’autre et nous-mêmes –, comment retrouver de la convivialité en tant qu’individu dans un collectif ? L’eau comme bien commun, mais comment recréer du commun à partir d’usages et d’intérêts divergents ? Comme un écho à ces questions, j’ai découvert au cours de mon travail le film documentaire de Dominique Marchais, La Ligne de Partage des Eaux 2 sur la Loire, ou plutôt sur son bassin versant. On y voit des paysages et des flux. Sources, rivières, fleuve, affluents, estuaire, réseau hydrographique… Paysages habités, agricoles, industriels, périurbains, réseau routier… Et aussi des gens. Des élus, des techniciens, un paysagiste, des responsables associatifs, des agriculteurs, des habitants… On y voit des scènes de travail et de délibération : réunions d’acteurs publics, projet collaboratif d’écolotissement en cours d’élaboration dans une commune rurale… Différents usages, différentes motivations. Au-delà de l’esthétique méditative, précise et sans fioritures des longs plans qui ne peuvent laisser insensible la photographe que je suis, la visée politique. Ce film entrait particulièrement en résonnance avec mon projet, mon expérience du fleuve et les questionnements de la citoyenne engagée que je suis aussi3 . Nous avons donc organisé une projection publique du film en parallèle à mon exposition à la médiathèque de Roanne, comme prétexte à l’échange et à la discussion.

(2) L a ligne de partage des eaux, film documentaire de Dominique Marchais, produit par ARTE France et ZADIG films, 2014, 1 h 48 min. (3) Je suis membre fondateur de l’association Fleuve Loire Fertile à Villerest (département de la Loire). « Son but est la co-construction avec les acteurs, qu’ils soient citoyens, élus ou techniciens, d’un véritable projet de territoire axé autour du fleuve et du bassin roannais. Son ambition de développement local se porte vers l’initiation et l’accompagnement de projets de nature économique, sociale et culturelle, dans la mesure où ils s’inscrivent dans le respect de l’homme et de son environnement. » L’association accompagne depuis le début mon projet « Portraits de Loire », de la réalisation d’une exposition photographique et sonore à l’édition de ce livre. (http://www.fleuveloirefertile.fr/)

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Le film de Dominique Marchais nous montre la voie : «  Mon intention n’était pas de faire un film sur la rivière, sur le trait, mais sur le bassin versant, c’est-à-dire sur une cuvette irriguée, sur un territoire compris à partir de son système hydrographique. L’idée est que l’eau infiltre d’autres champs que celui strictement hydrologique. Que, par capillarité si j’ose dire, elle atteint la politique agricole, la politique urbaine, les mobilités, la question énergétique, celle de la biodiversité, de la transition… Finalement, l’idée est que pour refaire de l’aménagement du territoire, il faut repartir de l’eau. Mais l’observation d’un bassin versant nous enseigne encore autre chose : tous les points de ce réseau sont égaux en droit, le chevelu très fin des rus est tout aussi essentiel au fonctionnement de l’ensemble que l’estuaire imposant. C’est un ensemble qui fonctionne sous le signe de l’interdépendance. Et ceci devrait nous amener à réfléchir à la nature de nos organisations humaines. Cette interdépendance des espaces devrait nous faire signe, nous donner le sens à suivre : celui de la coopération. »

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«  En passant sur la route, j’ai vu la voiture arrêtée. J’ai suivi le chemin et au bout, il y avait ce pêcheur. Un peu revêche. Assez surpris que je sois là. Il ne voyait pas l’intérêt que je le prenne en photo. Il s’est assis sur son tabouret. En hiver, il pêche le sandre pas loin du château. »

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«  Le château de la Roche, c’est maintenant un lieu public, celui qu’on voit sur tous les guides touristiques. Avant la construction du barrage, il avait une situation très dominante, sur un piton. Des riverains ont bataillé pour qu’il ne soit pas immergé. Finalement, on a baissé le niveau initial du barrage. Il s’est retrouvé au ras de l’eau. C’est le même que sur la photo du début, de 1974. Il n’est pas très ancien, il date de 1900. Avant c’était une ferme fortifiée, puis un industriel roannais l’a racheté pour en faire sa petite folie. En hiver, je lui trouve un air écossais. »

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«  L’osiériculteur, ce n’est pas une rencontre fortuite. Je l’ai contacté par le réseau associatif. Ça m’a pris des semaines, car il ne répondait jamais. Un matin super froid, je l’ai attendu sur la place du village de Balbigny. Il m’a emmenée au bord de l’eau. Il avait mis en scène le lieu. Ce qui m’a frappée, ce sont ses mains rougies par le froid. Depuis, il a déménagé plus en aval, en Saône-etLoire, mais toujours en bord de Loire. »

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«  Le “pseudo guinguette”. On a beaucoup parlé du retour des guinguettes, ça redevient à la mode. Ici, une spécialité, c’est les cuisses de grenouilles et la petite friture. Les restos sont restés, mais les grenouilles ne sont plus les mêmes… »

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«  Je voulais évoquer le côté loisirs et plaisance. La location de pédalos, le père, cela fait plus de vingt ans qu’il fait ça, tout l’été, tous les après-midis. Cette plage se situe à six kilomètres de chez moi. Je n’y étais jamais allée vraiment. On ne vient jamais ici pour se baigner, il y a trop de monde. Ici, il y a des activités, les pédalos, les jeux de plage, les glaces, la buvette, mais beaucoup de gens font en sauvage. Il y a des accès qu’il faut connaître. Les habitués plantent leurs tentes. »

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Merci ! Aux habitants ligériens présents dans ce livre, et aux autres, amoureux du fleuve | à l’Association Fleuve Loire Fertile et en particulier à Michel Plumereau, Jean-Marc Berlier et Marie-Noëlle Rollet | à Thierry Moulat, phonographe, André Micoud, sociologue, Sophie Bonin, géographe, Armande Jammes, paysagiste et artiste, Claude Janin, géographe | à Dominique Marchais, réalisateur de films documentaires | à David Desaleux, photographe | à Catherine Thoyer, auteure, et à Philippe Busser, photographe | à Benoît Roux des éditions Libel et à Sébastien Lamoureix, graphiste | à tous les contributeurs au financement participatif et aux partenaires | Merci à vous tous qui avez permis à ce livre de voir le jour ! Édition Libel, Lyon www.editions-libel.fr Conception graphique, mise en page Sébastien Lamoureix

Impression Kopa

Photogravure Résolution HD, Lyon

Dépôt légal : septembre 2019 ISBN : 978-2-917659-83-0

Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme ou par quelque moyen électronique ou mécanique que ce soit, y compris des systèmes de stockage d’information ou de recherche documentaire, sans l’autorisation écrite de l’éditeur. Première édition © Libel

L’ensemble du projet Portraits de Loire est porté par l’association Fleuve Loire Fertile L’édition du livre Portraits de Loire est financée par

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